Quelques articles sur la philosophie
Le mantra OM

Le AUM, la vibration originelle:
Au commencement était le logos, peut-on lire dans l’évangile selon st Jean. Dans la bible comme la spiritualité orientale le verbe est créateur. Et plus particulièrement dans la philosophie du yoga, dans laquelle les sages, les rishis reçoivent « Vāk » la parole divine et la transmettent dans les Védas.
Le terme « Mantra » मन्त्र se décompose en 2 facettes, « man » venant de « Manas » est le mental et « tra » « qui protège, préserve ou calme ». Ils sont donc émis dans le but de préserver ce mental face aux agitations subies au quotidien. Ils possèdent des pouvoirs sonores au potentiel inépuisable, « Akṣara ».
Ainsi, la monosyllabe sacrée Om, que nous entonnons traditionnellement dans nos séances, est ce logos, ce verbe créateur. Elle est décrite comme la manifestation première de l’absolu, l’origine de tout : « D’OM naquirent les Dieux, d’OM naquirent les Astres, d’OM cet univers tout entier composé de 3 mondes (la terre, l’espace et le ciel) et d’êtres animés ou inanimés. » pour ne citer que la Dhyanabindu Upanishad -162.
Considérée comme subtile, non perçue par les sens, elle transporte en son frémissement la connaissance absolue et relie l’humain à l’essence de l’univers. « Le son qui ne sonne pas parce qu’il est au delà du son, l’adepte qui Le trouve est délivré du doute. » (Dhyanabindu Upanishad -3)3
Le mantra originel est en tout et en chacun, discrètement acheminé dans l’invisible, et est décrit dans les écritures tel une omniprésence représentant le Brahman-Son (Sabda- Brahman) et ses trois principes, création, conservation, dissolution : « Brahma, divinité de la création, Visnu, divinité de la conservation, mahesvara, divinité de la dissolution, tous les dieux, ainsi que les trois qualités fondamentales, sattva, rajas et tamas ont pour fondement OM, suprême lumière. » Goraksa vacana samgraha, verset 324. En effet, le pranava peut être décomposé en trois varna (lettre-son) A,U,M.
•Le « A » première lettre de l’alphabet sanskrit vibre de la symbolique du commencement, de l’origine absolu, de la totalité. Il est aussi l’état de veille.
•Le « U » représente la conservation, la continuation et l’état de rêve. (pour les Shivaïtes non dualistes du Cachemire il est l’énergie de connaissance)
•Le son « M » transporte en sa résonance l’achèvement, le retour au point d’émanation. Il est l’état de sommeil.
•Le Silence qui suit la récitation du mantra est éloquent, il induit un état de latence dans lequel tout est possible, tout est à naître. Comme l’espace entre deux notes de musique induit la cadence d’une chanson, il distille le rythme des cycles universels.
Selon Colette Poggi, dans son livre L’alchimie du yoga selon Goraksa, OM est « la résonance inaudible de l’énergie cosmique à partir d’un point source (Bindu) d’où émane l’harmonie cosmique (Dharma). »
Le yoga comme rituel
Dans la pensée indienne, rien n’est séparé. Une trame universelle, tissu ouvragé de mille vibrations anime le vivant..
C’est en allant à la découverte de son être que l’on comprend le fonctionnement des forces cosmiques et réciproquement.
« Je ne connais les Dieux qu’en tant que je me connais moi-même et je ne me connais moi- même qu’en tant que je connais les Dieux. » (Aitarya aranyaka upanishad, II,1,812)
Ici les Dieux représentent les forces qui agissent sur nous, et « moi-même » , nos forces motrices, sensorielles, intellectuelles etc...
Dans les textes sacrés, les sages utilisent le sacrifice rituel, dans le but de retisser dans l’action sacrée (karman) le lien entre ciel et terre, visible et invisible, dieux et hommes. « Sache que les actes rituels procèdent du sacré et que le sacré émane de l’Absolu impérissable. Il s’en suit que le sacré omniprésent est tout spécialement présent dans le sacrifice. » (Bhagavad Gita chant III, 1516)
Ce rituel est ramené, dans notre contemporanéité, au Yoga. Les parties du corps, les mouvements etc... sont les instruments du rite. Une conscience intense posée sur l’inspire et l’expire sacre la respiration, qui se joint ainsi au souffle cosmique. On révèle les fils d’or qui tissent la trame harmonieuse du Tout. En effleurant son essence, on rétablit le lien avec le subtil, la conscience universelle et la connaissance absolue.
Cette attitude sur notre tapis, nous amène à réfléchir à une justesse dans nos actes, au quotidien. A une conscience à poser dans chaque geste anodin. D’ailleurs, Colette Poggi donne au mot yoga une traduction qui semble fort à propos ; Yoga est la jonction équilibrée avec l’acte à faire, une habileté dans l’acte.
• La foi dans le Dharma :
धमर् « Dharma » : « Ordre naturel, loi, nature propre, vertu » Etymologiquement, Dharma vient de « dhr » qui signifie « soutenir, porter, préserver ».
Dans le Bouddhisme, il est l’enseignement de l’éveillé, du Buddha. Et par extension, l’enseignement de la Buddhi, notre intelligence supérieure, intuitive.
On peut appréhender le Dharma tel la force de maintenance du Vivant, le tissus de relations et d’échanges qui maintient la cohésion de l’univers.
Selon le Brihadaranyaka Upanishad le Dharma est la Vérité, la Réalité: « Brahman (...) projeta une forme particulièrement excellente, la rectitude du Dharma. (...) Cette rectitude est bien la vérité. »
Mais comment approcher la Vérité? Nous qui menons cette quête, avançant dans le doute. Une très belle réponse me fut donnée dans une conférence de Gisèle Siguier Sonné : « Une parole est vraie, lorsqu’elle est ajustée aux intentions de l’énonciateur et à la vérité de la situation. Lorsqu’elle participe à la solidarité des mondes.»
Comme dans une posture, l’on doit rechercher une harmonie entre geste et intention; la pensée et l’acte alignés afin d’unir les polarités. Comme le dit Colette Poggi dans une interview au yoga festival de Paris: « Ce n’est pas tant ce que l’on fait, mais comment on le fait. » car en agissant nous créons une vibration émanation, une coloration, une saveur.
L’importance de Dharma est développée dans la Gita, dans laquelle le héros Arjuna désemparé face à la tache qu'il se doit d’accomplir reçoit l’enseignement du dieu Visnu, à travers son avatar Krisna. Il va le guider vers l’accomplissement de son devoir dans le respect de l’équilibre cosmique.
Krisna représente notre intelligence subtile, notre sagesse innée liée à ce qu'il y a d'universel, de divin, de sacré en nous : notre Buddhi.
Il ne tient qu’à nous de se fier à cette force de l’absolu qui permet de maintenir l’équilibre du monde. « C’est ce sentiment que la vie a un sens plus vaste que la simple existence individuelle qui permet à l’homme de s’élever. » Carl Gustav Jung.19
Il nous appartient de s’ouvrir à une expérience de rencontre avec le divin indicible avec courage car elle implique des remises en question à chaque pas.
POsture : Adho mukha svana asana
Posture fondamentale dans mon approche de l’étude de soi. Elle occupe une place essentielle dans les salutations au soleil et dans les passages d’une famille de postures assises à debout et inversement.
Adho signifie « vers le bas », Mukha signifie « le visage » et Svana « le chien ». Elle fait référence au chien qui s’étire, à la joie de reprendre du mouvement, à la préparation au dynamisme.
Debout en Tada asana, j’inspire, puis j’expire dans une flexion avant afin de déposer les mains de chaque coté des pieds, alignés.
Je plie les genoux et je recule un pied puis l’autre à une distance d’à peu près deux coudées des mains. Les doigts sont écartés dans le sol, étirés, paumes légèrement relevées. Pieds parallèles et orteils ancrés.
J’effectue ici quelques mouvements avec les jambes et le bassin pour assouplir le membre inférieur et lorsque je me sens à l’aise, je tends les cuisses vers l’arrière et rentre et tends les jambes, avec l’intention de poser les talons au sol. J’expire en allongeant bras, jambes et en approchant le ventre des cuisses. L’estomac est « avalé ». L’attention se pose d’abord sur le nombril et j’écoute mon souffle quelques respirations.
Puis le mental se pose sur les bases, les quatre piliers qui maintiennent l’asana : trame de base, stabilité, harmonie, élévation.
C’est avec cet esprit que je m’installe dans cette asana pour goûter le parcours du souffle et le fond de la posture, sa symbolique.
Les quatre « pattes » ancrées dans le sol rappellent les quatre buts de l’existence humaine selon l’Hindouisme, les quatre stades de la quête du brahmane, les Puruṣārtha25.
• Dharma : loi régissant l’ordre ; la trame de l’éthique général et personnelle, Yama et niyama...selon moi le socle de l’élévation.
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Artha : la prospérité, m’évoque la recherche de la stabilité.
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Kāma : le plaisir, profiter pleinement de l’instant présent. C’est la joie dans l’harmonie.
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Moksha : la libération, la compréhension du Tout ..l’union à l’invisible.
Elle représente dans ma pratique ce lien entre ciel et terre, cette recherche d’union à l’ intelligence intuitive, la Buddhi.